E. Leclerc et la parapharmacie (1957- 1989)


 



 

A l’occasion de la nouvelle campagne E. Leclerc pour pouvoir commercialiser les médicaments vendus sans ordonnance, il est intéressant de revenir sur l’ensemble des actions menées par l’enseigne pour briser le monopole de la distribution pharmaceutique. Dès le 7 décembre 1957, Edouard Leclerc affirmait vouloir s'attaquer à la distribution de médicaments. Encore inconu,  Leur fondateur, il déclarait alors au journal La Croix : « la vente directe au prix de gros des médicaments réduirait notablement le déficit des assurances maladies. Il n’y aurait même plus de difficultés financières dans les caisses. ». Par la suite, Edouard Leclerc reviendra régulièrement à la charge en dénonçant le monopole des pharmaciens. Ce n’est cependant qu’en 1981 que l’enseigne passera du discours aux actes. 

 

[voir quelques extraits vidéos]

 

  • Le contexte

Les apothicaires étaient à l’origine une catégorie de marchands de drogues végétales, comme les épiciers qui vendaient des épices, les pebrarii qui vendaient du poivre ou les aromatorii qui vendaient des aromates. D’ailleurs, les marchands d’épices et de drogues médicinales s’appelaient indifféremment épiciers ou apothicaires. Autrement dit, les apothicaires étaient de simple marchands, « boutique » et « apothicaire » ont d’ailleurs la même étymologie. C’est d’ailleurs essentiellement pour gagner son  indépendance face aux médecins ou aux épiciers, mais aussi pour défendre ses  privilèges et prérogatives que la profession s’organise en corporations aux XVIème et XVIIème siècles. En 1777, grâce à une déclaration royale, la séparation entre épiciers et apothicaires est enfin effective. La révolution française, avec le décret d’Allard et la loi Le Chapelier mettra un terme aux corporations et autres organisations professionnelles. En 1941, le régime de Vichy rétablit les corporations. Cette organisation sera conservée après la Libération : l’ordre des pharmaciens, créé en 1945 réglemente la profession et l’ouverture des officines.  Un arrêté du 8 décembre 1943, confirmé par la cour de cassation dans un arrêt du 3 décembre 1958, publie la liste des marchandises vendues en officine.

Edouard Leclerc conteste d’une part la vente exclusive en pharmacie d’un certain nombre de produits qui ne sont, selon lui, pas des médicaments, d’autre part les ententes sur les prix entre les laboratoires et les officines. L’absence de concurrence dans ce secteur aboutit, toujours selon lui, à des prix considérablement élevés. Cette dénonciation s’intègre parfaitement dans le discours originel global d’Edouard Leclerc, devenu celui de l’enseigne, qui fait de la défense du consommateur le cœur de son action. De plus, le Mouvement E. Leclerc est en forte croissance  et la parapharmacie (le mot n’existe pas alors et sera inventé dans les années 1980) constitue un secteur de croissance très attractif. Les ménages français consacrent en effet une partie de plus en plus importante de leur budget à l’hygiène et à la santé et le marché global de la parapharmacie est estimé par M.-E. Leclerc entre 36 et 46 milliards de francs en 1988. Enfin, malgré la victoire socialiste aux élections présidentielles de 1981, les idées libérales ont largement progressé dans les années 1970, devant la crise du modèle keynésien de croissance des Trente Glorieuses et avec la construction européenne.

 

  • Les produits d’hygiène et les cosmétiques

 

 

Tous les produits de type crème hydratante, gommage etc. ne sont pas des médicaments mais étaient traditionnellement vendus dans les officines. C’est d’abord à ce type de produits que l’enseigne va s’attaquer. En 1981, le Galec, le groupement d’achat du Mouvement, contacte plusieurs laboratoires pharmaceutiques (Roc, Pierre Fabre, Ducray…) afin de commander des produits d’hygiène et des cosmétiques. Il essuie, auprès de chacun d’eux, des refus de vente et contourne la difficulté en s’approvisionnant à l’étranger en passant des appels d’offre dans de grands quotidiens nationaux européens. Cette stratégie permet au centre E. Leclerc de Dammarie-les-Lys, inauguré le 22 février 1984, de disposer d’un rayon parapharmacie. Les centres de Levallois-Perret et de Boulogne-Billancourt suivront le mouvement dans les semaines qui suivent. Pour faire baisser les prix de ces produits dans les officines, Edouard et Michel-Edouard Leclerc parviennent à convaincre, en novembre de la même année, une pharmacienne de Montaigu de proposer des prix Leclerc sur ses articles de parapharmacie. Il s’agit là, d’introduire de la concurrence entre les pharmacies en brisant le système de prix imposés par les laboratoires. La pharmacienne de Montaigu sera condamnée par le conseil de l’Ordre des pharmaciens à deux ans d’interdiction d’exercer.

Les fabricants et les syndicats professionnels intentent une dizaine d’actions juridiques contre le centre de Dammarie-les-Lys, devant les juridictions civiles et pénales, affirmant leur droit à une distribution sélective auprès de vendeurs agréés. En mars 1985, après plusieurs décisions d’incompétence des tribunaux, la Cour d’appel de Versailles, s’appuyant sur le droit européen, juge que « l’interdiction de la distribution sélective résulte clairement de l’article 85-7 du Traité de Rome » et déboute la société Biotherm qui revendiquait le droit de ne commercialiser ses produits que par l’intermédiaire de ses distributeurs agréés. De son côté, la commission de la concurrence, organe indépendant créé en 1977, se saisit du dossier et rend public en mars 1986 le rapport Lepetit dans lequel elle condamne les prix imposés et propose des sanctions contre les ententes entre les laboratoires et les pharmacies. Son successeur le Conseil de la concurrence fera de même en 1987 et la Cour d’appel de Paris interdira elle aussi aux fabricants de ne vendre des cosmétiques qu’en officine, le 28 janvier 1989.

 

  • Les produits « frontière »

Simultanément, l’enseigne va chercher à commercialiser des produits vendus exclusivement en officine, qui, sans être tout à fait des médicaments, sont considérés comme pouvant avoir une incidence sur la santé : l’eau oxygénée, la vitamine C,  les plantes médicinales, les autotests (tests de de grossesse…), les préservatifs, le lait maternisé…  La classification ou non en tant que médicaments de ces produits soulève un débat tant parmi les acteurs politiques que dans l’opinion publique. Une commission de la parapharmacie, mise en place par la ministre de la santé Michèle Barzach en septembre 1986 et présidée par P. Cortesse et ne parviendra pas à trancher la question dans le rapport qu’elle rédige en janvier 1987.

                                    

Sur ce terrain, l’enseigne est précédée ou suivie par les autres distributeurs : par exemple, les magasins Carrefour et Leclerc proposeront en même temps de la vitamine C à leurs clients, tandis que Mammouth prendra l’initiative pour le lait maternisé. Faute de législation globale, claire et cohérente sur ces produits « frontière », la commercialisation de chacun d’entre eux donnera lieu à des actions judiciaires spécifiques dont certaines se concluront par des victoires de la grande distribution sur les syndicats de pharmaciens : droit de vendre de la vitamine C en octobre 1986, de l’eau oxygénée en décembre 1986, de l’aspartam en janvier 1987… Autant de produits qui viendront grossir les rayons Parapharmacie des hypermarchés.  En 1989, le centre E. Leclerc de Maurepas ouvre dans sa galerie commerciale la première parapharmacie de France.

A un contexte favorable – la signature de l’Acte unique européen en 1986 qui prévoit l’avènement du marché unique à l’horizon 1992 – s’ajoute une communication efficace. En effet, après l’insertion d’encarts dans les quotidiens nationaux en mars 1985 plaidant son combat pour la parapharmacie, l’enseigne lance en novembre 1986 une vaste campagne de communication dénonçant les monopoles, préparée avec Philippe Michel de l’agence CLM/ BBDO et pour laquelle elle consacre des moyens considérables. Cette campagne, même si elle porte sur tous les combats menés alors par le Mouvement et pas seulement sur la parapharmacie - aura un large retentissement grâce au ton humoristique et provocant adopté. D’autres suivront qui contribueront à populariser la démarche de l’enseigne et à libéraliser la distribution de nouveaux produits. L'enseigne utilisera également son journal "Le parti prix" comme tribune : l'article intitulé "Touche pas à ma pharmacie !" lui vaudra une réponse du conseil de l'Ordre.

 

 

 

[voir l'ensemble des campagnes]

 

L’enseigne compte 91 parapharmacies en 2005 et 155 en 2011, date à laquelle elle détient 22 % des parts du marché du secteur. Pour accéder à ce marché de la parapharmacie, l’enseigne aura donc combiné offensives juridiques et grandes campagnes de communication. Cette stratégie, qui s’est ici révélée efficace, sera appliquée par la suite à d’autres secteurs, avec plus ou moins de succès, jusqu’à devenir constitutif de l’identité de l’enseigne.

 

Des clés pour comprendre
 

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Edouard Leclerc ouvre son 1er magasin à Landerneau, en Bretagne, avec la volonté de faire baisser les prix pour le consommateur.

Cette aventure humaine est très vite devenue collective formant aujourd'hui une coopérative d'adhérents indépendants, propriétaires de leurs magasins.